Alors...avec son autorisation...Voilà :
Je me souviens de la maison crème autour de laquelle nous faisions du vélo
Je me souviens que, dans l’allée, nous faisions voler des
hannetons en grappes devant nous, reliés par des fils blancs que nous nouions à
leurs pattes.
Je me souviens des pigeons.
Je me souviens de la terrasse, derrière la maison, devant la
cuisine où nous faisions sécher le café avant de le torréfier.
Je me souviens des poules.
Je me souviens de la lumière.
Je me souviens des grands arbres qui marquaient l’entrée.
Je me souviens d’une chute en vélo. Mon vélo avait le guidon
droit, une selle large, pas de frein sinon le rétropédalage. Je suis passé
par-dessus en descendant de la maison des Récoché. Dans le virage. J’ai fini à
pied en me tenant le genou. C’était un jour de classe. J’ai attendu sur le
perron que maman revienne.
Je me souviens que je suis tombé sur un tesson de bouteille
en courant au stade, qui est en contrebas de la maison. C’est ma deuxième
cicatrice au genou.
Je me souviens m’être cassé la jambe. Juliette s’est cassé le
coude, en tombant d’une balançoire.
Je me souviens avoir mis le feu à la corbeille de papier.
Pour aller plus vite. La corbeille était pleine tous les matins des pages que
papa tapait avec sa machine à écrire et reprenait la nuit. Mon travail était de
vider la corbeille, et de brûler les feuilles. J’ai directement mis le feu à la
corbeille.
Je me souviens que les Récoché sont arrivés un jour que les
parents n’étaient pas là. Et que je les ai reçus en leur offrant du whisky, des
biscuits et en leur faisant la conversation. J’avais quatre ans.
Je me souviens des tortues et de la poule qui dormait sur
l’une d’elles.
Je me souviens que nous faisions cuire du sucre, des
cacahouètes, qu’on huilait une bouteille et qu’on écrasait le caramel sans se
brûler avant de découper des rectangles pendant que la pâte refroidissait sur
la table en pierre.
Je me souviens être allé pêcher au lac derrière la maison.
Je me souviens de l’arbre qui était tombé dans l’eau. Il
nous servait de promontoire pour aller loin sur l’eau. J’avais attrapé un petit
poisson qui brillait dans la lumière. Jérôme en voulait d’autres. J’y suis
retourné. Je ne sais pas si j’en ai attrapé.
Je me souviens de notre chambre à l’étage. L’escalier était
à droite, en allant vers la cuisine. Il était raide.
Je me souviens du frigo à pétrole.
Je me souviens des bananiers derrière la maison.
Je me souviens de l’Aronde bleue avec son volant en bakélite
claire, son long ruban en acier qui courait en demi-cercle à l’intérieur du
volant, sa plaque : 38 30 TB.
Je me souviens de la verdure et des odeurs des feuilles
d’eucalyptus écrasées.
Je me souviens de l’eau des rizières qui se dessinaient de
l’autre côté du stade. Le vent invisible en passant caressait les tiges de
riz ;
Je me souviens du bain de la reine où j’allais nager. Les
femmes venaient y laver le linge.
Je me souviens d’une balançoire, toute seule.
Je me souviens que Jérôme me prêtait son grand vélo. Je
passais sous la barre, pédalais en étant à moitié en dehors.
Je me souviens que je n’aimais pas du tout aller au lac,
surtout avec les Récoché.
Je me souviens que nous avions une chienne : Koï (pour
Koira, chien en finnois).
Je me souviens que j’ai pleuré, une fois tout seul, dans
l’escalier derrière la maison de Jean Laborde.
Je me souviens comme j’ai aimé vider les rizières, les
genoux dans la boue, avec les enfants du village.
Je me souviens que je n’aimais pas dire qu’il y avait une
erreur d’orthographe, ou une erreur de frappe sur une des feuilles posées sur
le plancher. Il fallait que papa retape tout.
Je me souviens d’un jour où le pasteur est venu.
Je me souviens que les gens qui venaient aimaient notre maison.
Je n’aimais pas que les gens aiment notre maison, ils ne restaient jamais.
Je me souviens des élèves des parents qui venaient
travailler chez nous, et qui me faisaient “travailler”. Je savais les noms des
rois, des reines, des premiers ministres. Je connaissais le nom des massifs,
les vingt-deux provinces, les villes importantes. Je savais compter, je
connaissais le nom des arbres en merina. Je savais parler.
Je me souviens du jour où on a déménagé. Et j’ai tout
oublié. Tout.
Je me souviens du jour où, en descendant de la voiture, tout
ce dont je me souvenais est brutalement remonté en m’étranglant.
Je me souviens qu’il n’y avait plus que mon cœur qui se
serrait.
Je me suis souvenu que mes pas savaient où aller.
Je me souviens que ce n’est pas chez moi. Chez moi, c’est
partout où mon œil et ma peau sont polis. Partout où, et partout avec qui je suis
apprivoisé.
4 commentaires:
Beau et émouvant ...
Toujours on revient de son enfance...
Je vous embrasse
PS : lire Michon
Une boule énorme dans la gorge...
Superbe.
Eliane
je me souviens...que j'ai beucoup aimé tant la légèreté que la gravité du propos.
émouvant. merci.
Thérèse M.L.
Bon, je crois que je vais l'inciter à phagocyter un peu mon blog ;-)
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